Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/222

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enfin qui voudrait vivre et que l’égoïsme des élus rejette éternellement dans les ténèbres extérieures.

C’est là un type humain, admissible à la fraternité. Il posera peut-être une bombe, un jour de désespoir ; il ne surinera pas un pante le long des fortifs. Entre ce Pauvre et les humanités basses que célébra M. Bruant, il y a toute la profondeur des douves qui séparent l’homme de l’animalité et l’art de la crapule.

Le Pauvre de Jehan Rictus penche certainement vers l’anarchisme. Comme il est privé de toute jouissance matérielle, les grands principes le laissent froid. Le Socialiste en paletot et le Républicain en redingote lui inspirent un identique mépris et il ne conçoit guère comment les malheureux, doucement leurrés par les politiciens gras, peuvent encore écouter sans rire la honteuse promesse d’un bonheur illusoire autant que futur. Il n’est pas sot, il pense à aujourd’hui et non à demain, à lui-même, qui a faim et froid, et non aux problématiques mômes encore prisonniers dans les reins faciles du prolétariat :


Nous… on est les pauv’s ’tits Fan-fans,
Les p’tits flaupés… les p’tits fourbus,