Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/245

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la sincérité du sentiment. La femme à la beauté impassible souffre en silence, sans gestes, sans parade, sans larmes : sa peine est adoucie par la joie d’être belle.

Il y a sans doute, dans la Dame en deuil un peu de la psychologie de Mikhaël : son orgueil l’enchaînait à son ennui :


Va-t’en ! Je veux rester la veuve taciturne
De mes rêves d’antan que j’ai tués moi-même.


Presque aucun de ses poèmes où ne se répète ta plainte de l’orgueil et de l’ennui ; ce n’est pas l’ennui de vivre — il vécut si peu ; ce n’est pas l’ennui de ne pas vivre — il n’eut pas le temps de s’apercevoir que la vie donne moins qu’elle promet ; c’était un ennui maladif et invincible, l’ennui des prédestinés qui sentent obscurément, comme l’eau glacée d’un fleuve gonflé, monter le long de leurs membres les vagues de la mort ; et c’était aussi l’orgueil de ne pas avouer ses pressentiments et de chercher des causes vaines à une tristesse plus forte que l’âme qui la portait. Mais il ne faudrait pas exagérer l’influence d’une santé chétive sur les tendances et les goûts d’une intelligence. Nous ne savons rien de précis ni rien d’utile sur la for-