Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/257

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rideau constellé de fausses émeraudes et de rubis inanes. Il est cependant une certaine dextérité manuelle qu’il faut posséder ; il faut être à la fois l’artisan et l’artiste, manier le ciseau et l’ébauchoir, et que la main qui a dessiné les rinceaux puisse les marteler sur l’enclume.

Mais là, Aurier pécha moins par omission que par jeunesse, et s’il montra un talent moins sûr que son intelligence, c’est que toutes les facultés de l’âme n’atteignent pas à la même heure leur complet développement ; chez lui, l’intelligence avait fleuri la première et attiré à soi la meilleure partie de la sève.

L’intelligence et le talent, voila, je crois, une distinction qui n’a guère été faite en critique littéraire ; elle est pourtant capitale, il n’y a pas un rapport constant ni même un rapport logique entre ces deux manières d’être ; on peut être fort intelligent et n’avoir aucun talent ; on peut être doué d’un talent littéraire ou artistique évident et n’être qu’un sot ; on peut aussi cumuler ces deux dons : alors on est Gœthe ou Villiers de l’Isle-Adam, ou moins, mais un être complet.

Aurier manqua de quelques années pour s’harmoniser définitivement. Il en était encore à la pé-