Page:Gourmont - Le Livre des masques, 1921.djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



Et voilà bien, et prophétisée, la mort brusque et absurde, la vie de Laforgue. Il avait trop froid au cœur ; il s’est en allé.

C’était un esprit doué de tous les dons et riche d’acquisitions importantes. Son génie naturel fait de sensibilité, d’ironie, d’imagination et de clairvoyance, il avait voulu le nourrir de connaissances positives, de toutes les philosophies, de toutes les littératures, de toutes les images de nature et d’art ; et même les dernières vues de la science semblent lui avoir été familières. C’était le génie orné et flamboyant, prêt à construire des architectures infiniment diverses et belles, à élever très haut des ogives nouvelles et des dômes inconnus ; mais il avait oublié son manchon d’hiver et il mourut de froid, un jour de neige.

C’est pourquoi son œuvre, déjà magnifique, n’est que le prélude d’un oratorio achevé dans le silence.

De ses vers beaucoup sont comme roussis par une glaciale affectation de naïveté, parler d’enfant trop chéri, de petite fille trop écoutée, — mais signe aussi d’un vrai besoin d’affection et d’une pure douceur de cœur, —