Page:Gourmont - Lettres à Sixtine, 1921.djvu/138

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qui te manque, privations dont tu ne saurais te plaindre, encore que tu en souffres. Mon amie, à notre âge, la famille est celle que l’on se fait à soi-même : un être suffit à cela ; pourtant, comme tu le sens, l’autre famille, l’héréditaire répond à un besoin différent (comme tu as des cordes cachées que nul n’a su faire vibrer, — aveugles !) ; eh bien ! pourquoi la mienne te serait-elle fermée ? Les préjugés contre lesquels nous aurions à lutter, tu les connais, il faudrait pouvoir s’imposer. Pour cela, être indépendant. Ma mère est trop intelligente pour ne pas comprendre, et l’un comme l’autre m’aiment trop pour ne pas accepter le choix que j’aurais fait. On a renoncé à chercher à me marier à une pintade ; on sait, tout en ne sachant pas mon avenir fixé, que je ne consulterai jamais que moi-même et que je veux une collaboratrice d’une fécondité tout intellectuelle. Tu vois qu’il y a un ordre d’idées auquel je n’ai