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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/122

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de vaines compilations. Cette goutte de sang n’avait pas été un ciment très durable ; n’ayant plus à qui lire ses contes, le conteur se tut. Il avait cinquante ans.

Moment terrible, car tout le quittait à la fois : la jeunesse, l’amour, la littérature. Pour combler ce vide affreux, il y jeta d’abord des plaintes. Ses lettres de ce moment-là sont lamentables ; personne, les ayant lues, ne contestera, comme on l’a fait souvent, la sincérité de Mérimée, ni ne parlera de sécheresse : « Figurez-vous la figure que l’on fait lorsque, après avoir admiré pendant de longues années ce qu’on croyait un diamant, on s’aperçoit que c’est un morceau de verre… Le résultat, c’est qu’il faut que je retranche quinze ans de ma vie, non seulement perdus, mais dont le souvenir même est empoisonné pour moi. Je ne regrette pas le temps perdu, car j’aurais trop à faire, mais il y a des souvenirs qui étaient un monde surhumain pour moi, où j’avais autrefois accès, et qui m’est fermé. » Sa sensibilité est si avivée qu’il écrit des phrases telles que celle-ci : « Il n’y a pas de bassesse que je ne fisse volontiers pour que cela ne fût pas arrivé. » Il cite des aphorismes sentimentaux comme : « Le bonheur se donne à chacun