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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/126

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rencontrerait pas, il faut les demander à Pascal. Mais Pascal a pensé sans le faire exprès. Les Pensées sont des thèmes de méditation ; il les a écrites pour lui et non pour nous. S’il avait vécu dix ans de plus, nous ne connaîtrions pas ses pensées sous la forme primitive qui nous est familière ; presque chacune serait devenue le chapitre d’un livre ou le paragraphe d’un chapitre.

Avant La Rochefoucauld, on pensait en vers. Il y a deux célèbres « penseurs » en vers, M. de Pibrac et Pierre Mathieu. Ils ont tous les deux leur mérite et un certain génie. Pibrac est le plus connu. Mathieu est le plus solennel. Comme Pibrac, il enferme uniformément sa pensée dans un quatrain. Il pense en quatre vers, jamais en trois, ni en cinq. En voici des exemples[1] ;

Le fruit sur l’arbre prend sa fleur et puis se nouë,
Se nourrit, se meurit, et se pourrit enfin :
L’homme naist, vit et meurt, voilà sur quelle rouë
Le temps conduit ton corps au pouvoir du destin.

  1. D’après l’édition originale, infiniment rare ; Tablettes on Quatrains de la vie et de la mort, par Pierre Mathieu, conseiller du Roy. A Rouen, chez Daniel Cousturier, au Chapeau Rouge, 1623.