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Oui, sans doute, cette poésie manque d’intimité, et on n’emportera pas les livres de M. Verhaeren pour les lire à la campagne parmi les premiers lilas fleuris. Elle ne consolera nulle âme blessée de ses douleurs secrètes. Cependant elle peut donner aux jeunes gens épris de rêves sociaux la sensation que leurs idées ont trouvé un prophète.

Pour moi, je récite plus volontiers l’admirable sonnet de Baudelaire,

Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille…



mais les vers de M. Verhaeren n’en répondent pas moins très certainement à certains besoins intellectuels. Ils sont venus à l’heure où ils pouvaient être aimés et compris : il y a une beauté évidente dans cet accord entre un poète et une partie de la jeunesse.

Or, qui pouvait écrire une telle poésie ?

Il fallait un Verhaeren, un homme des Flandres, un rêveur doux et violent, un croyant.

C’est bien ce que l’on appelle l’originalité : réaliser ce que nul autre ne pourrait réaliser. Ceux donc qui appellent M. Verhaeren un grand poète, ne se trompent guère, Il a, du moins, de la grandeur. Il