Aller au contenu

Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sites, vers ce vers rythmique qui semble le but naturel et prochain de la poésie française[1].

M. Charles Guérin use du vers traditionnel, de celui qu’a défini Brunetto Latini et qui suffisait encore à Verlaine et à Mallarmé, comme il suffit à Albert Samain et à Henri de Régnier. Il ne sent pas le besoin de mettre ses émotions à la ligne, après chaque virgule ; dédaigneux de ces artifices magnifiques, il laisse sa magnifique mélancolie promener le long du vieux sentier la vision d’une attitude hautaine et d’une face aux yeux d’automne, — cœur solitaire qui cherche et qui les trouve, transfigurés,

Les mots, les pauvres mots de l’élégie humaine.

Il y a dans les vers de M. Charles Guérin l’amalgame inattendu et rare de la pensée et du sentiment. La pensée n’est jamais vulgaire : elle est amère ; le sentiment n’est jamais mièvre : il ressent la douleur même quand il s’excite à la joie, et cela donne à ses paroles d’amour un accent tragique.

Poète, sois un arbre aux fruits lourds de pensée.

Il a pu écrire cela et on ne sourit pas, car il s’est

  1. Voir le chapitre sur le Vers libre dans l’Esthétique de la langue française, et celui sur l’E muet dans le Problème du style.