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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/238

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donné le conseil d’être ce qu’il est. On l’appellerait un poète philosophique, si le mot n’était équivoque. Il fait réfléchir au moment même qu’il vient de nous émouvoir. D’abord sur lui-même et sur sa génération ; car il représente bien le type idéal de ces jeunes poètes qui proclament leur foi dans la vie et qui ne savent comment vivre. Aux heures du départ, le matin rayonnait dans la beauté de sa jeunesse, tous les mouvements semblaient faciles dans l’air léger ; il y avait sur la terre le sourire d’une rosée fraîche. Mais le soleil est lourd ; au premier rayon trop brutal, à la première émotion trop forte, on se couche à l’ombre pour fuir l’éclat du ciel et de la vie, et l’on attend le bienfait du premier soir. Pour M. Charles Guérin les jours n’ont plus que des soirs. Il n’est pas une page de son dernier livre, le Cœur solitaire, où ne revienne ce mot, non comme un glas, mais comme un propos de tendresse :

O mon ami, mon vieil ami, mon seul ami,
Rappelle-toi nos soirs de tristesse parmi
L’ombre tiède et l’odeur des roses du Musée.
Nous allions là le cœur défait et l’âme usée,
Trop amers pour prier, trop lâches pour saisir
Le phalène invisible et frôleur du désir
Qui rôdait dans l’azur profond de la nuit claire…