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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/241

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humaines. Son égoïsme de poète s’élargit ; il songe :

Nous nous sommes aimés un jour, et ce fut vain
Comme un rosier sur un tombeau. Je me souviens,
J’écoule bourdonner en moi l’amour ancien,
J’ai peur de cette guêpe impossible à chasser…

et voici que cette âcreté s’adoucit à la pensée que d’autres hommes la sentiront dans leur bouche et dans leur cœur :

Et pourtant, sous le ciel des soirs d’été sans fin,
Encor, toujours, jusqu’à la nuit où le Destin
Viendra fermer les yeux à l’humanité lasse,
D’auires viendront, pareils à moi dans leur chair veuve,
Le cœur amer d’un vieil amour vivace.
Voir, parmi les clameurs des corbeaux dans l’espace,
Le soleil se coucher sur des moissons heureuses.

Il est rare qu’un poète chez qui le sentiment prend volontiers des allures philosophiques ne se laisse pas à quelque moment incliner vers les idées religieuses. L’amour est, pour quelques-uns, un chemin qui mène à Dieu ou au désespoir. Un être a tenu dans un autre être une si grande place que rien, au jour des séparations, ne peut combler le précipice, si ce n’est l’infini ou la mort. Les dernier vers du Cœur solitaire sont donc des prières. Elles sont fort belles. Que de femmes trouveraient