Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/247

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générations, quand l’éducation, durant des siècles, est venue renforcer dans chaque enfant l’influence du langage lui-même, il devient bien difficile que la nationalité de la pensée survive à la nationalité de la parole. La parole est une puissance terrible. Les Romains le savaient bien qui romanisèrent ainsi la Gaule et l’Espagne et réussirent à détruire le sentiment national en détruisant la langue nationale. Du jour où la Gaule a parlé latin, elle s’est reconnue très volontiers pour une province romaine ; et c’est même elle qui donna à l’Italie épuisée ses derniers grands poètes latins. Du jour où la pensée des Normands a choisi pour s’exprimer le dialecte français, devenu la langue française, il n’y a plus eu, à proprement parler, ni de littérature normande, ni de poésie normande.

Restent le sol et la race. Ces deux éléments sont très importants ; mais comment les apprécier, quand il s’agit de poésie, par exemple, c’est-à-dire d’un art dont l’expression est uniquement verbale, et qui, si on lui ôte le langage, reste à l’état de vague et vaine rêverie ? C’est beaucoup plus difficile que ne le croient les auteurs de l’Anthologie des Poètes normands. Il ne s’agirait de rien moins que de savoir s’il y a un caractère commun, sous