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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/322

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précieux à la littérature que j’ai entrepris de rendre une des plus singulières tragédies de Shakespeare. » Dans la suite, Ducis se servit de la traduction de Letourneur, d’après laquelle il fabriqua un Roméo et Juliette, un Roi Lear, un Macbeth, un Othello. Ces tragédies sont médiocres, on le sait, mais elles eurent un très grand succès et achevèrent de faire connaître non pas l’œuvre, à coup sûr, mais le nom de Shakespeare. Son Hamlet fut joué en 1769.

Tout ceci n’était qu’une préface ; il faut attendre encore de longues années avant de rencontrer la première traduction complète de l’œuvre de Shakespeare. Cela arriva en 1776, deux ans avant la mort de Voltaire, qui, oubliant son ancienne admiration, se mit à couvrir de sarcasmes et Shakespeare et son traducteur. Voltaire, immensément égoïste, n’aimait pas que l’on touchât aux idées et aux hommes sur lesquels il se croyait certains droits de priorité. Shakespeare a un certain génie, quand c’est Voltaire qui en parle ; il devient un « sauvage ivre », quand d’autres s’en emparent. Letourneur ne se laissa pas intimider. Avec l’aide de Fontaine-Malherbe, un poète originaire de Coutances, et du comte de Catuelan, il mena à bien sa