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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/111

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langues française et romaine, mais au langage humain, les plus belles formes connues, il faudrait se jeter dans tous les moules qu’ils présentent, et les serrer de très près en les traduisant, vestigia semper adorans. Mais le Dante, à cause de ses défauts, exigeait plus de goût que d’exactitude : il fallait avec lui s’élever jusqu’à une sorte de création[1], ce qui forçait le traducteur à un peu de rivalité[2]. » Il faut juger un écrivain d’après ce que nous voudrions qu’il eût fait. Rivarol a entrepris une conquête et l’a menée à bien. Souvenons-nous qu’il a annexé Dante à la littérature française.

Les petits hommes de lettres de l’an 1785 sentirent qu’un écrivain venait de naître, qui n’était pas de leur race. C’est de cette époque que date l’animosité que le monde littéraire manifesta contre Rivarol. Deux œuvres maîtresses parues coup sur coup lui fermaient à jamais tous les cœurs. Lui, cependant, heureux de pouvoir enfin se livrer sans remords à sa paresse naturelle, se reposa pendant quatre ans. Il aiguisait ses griffes, parfois un peu comme un chat, tantôt sur le dos de Beaumarchais, tantôt sur celui de madame de Genlis. C’est de cette dernière période que datent ces fantaisies parodi-

  1. C’est le mot que reprit Buffon, en disant que son Enfer « était une suite de créations ».
  2. Voyez la lettre de Rivarol « Aux auteurs du Journal de Paris ».