Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/15

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temps-là, avec, au milieu de la salle blanche, sa colonnette surmontée d’une corbeille de fleurs, toujours fraîches, les fleurs de la déesse !

C’est dans ces trois endroits que, légèrement animé par son verre de bitter hollandais, Huysmans me dévoila quelques-uns de ses goûts, quelques-unes de ses idées. Quoiqu’il s’ennuyât beaucoup dans la vie, je le vis toujours, à ces moments-là, de la meilleure humeur. Pour un compagnon attentif, sa parole, d’une verdeur incroyable mais jamais exaltée, jamais violente, également précise et colorée, se dévidait avec confiance. Sûr de son auditeur, il laissait tomber goutte à goutte ses mépris, ses rancœurs, ses haines, ses dégoûts, déchirant à la fois l’Église et la littérature, la jeunesse et ses contemporains, la peinture, la critique et les journaux. Un recueil de ces conversations serait le plus curieux tableau satirique du Paris de vers 1890. Je les ai rarement notées, malheureusement, et il m’en est resté des impressions plutôt que des précisions. Les quelques pages de journal que je possède de cette époque ne peuvent d’ailleurs être transcrites. Le verbe de Huysmans était extrêmement cru. Il inventait, pour traduire ses préoccupations et ses expériences sexuelles, les métaphores les plus outrées et aussi les plus sales. Ses livres sont très chastes, comparés à sa conversation.