Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/16

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Quant à ses jugements littéraires, ils étaient d’une méchanceté vraiment excessive, et peut-être pas tout à fait exempts d’une certaine rancune. Il est certain qu’en ce temps-là il ne pardonnait pas leur succès à Bourget ni à Maupassant, qui avaient été ses camarades. Il traçait de leur rôle littéraire le dessin le plus fou, les montrant tels que deux compères lancés dans le monde à la conquête des femmes : « Bourget, me disait-il, les allume avec sa psychologie faisandée et recuite ; Maupassant survient, qui n’a plus qu’à se mettre à table. » Il employait d’autres termes, beaucoup plus pittoresques. Comme il s’amusait en disant : « Bourget, ce n’est que du retapage, du rétamage ! Bourget, le rétameur ! » Il était inépuisable sur le romancier belge, Camille Lemonnier, qu’il appelait le déménageur, qu’il coiffait du petit bonnet à pendentif que portent les déménageurs parisiens : « Le voyez-vous entré chez Zola avec ses paniers pleins de paille et vidant la maison pour en meubler sa bicoque belge ! » Hélas ! j’ai su qu’à ces mêmes écrivains bafoués en paroles, il envoyait volontiers, à l’occasion, d’aimables lettres. J’en eus la preuve, un jour qu’une de nos meilleures romancières me montrait avec émotion un billet de Huysmans des plus chaleureux : la veille, il m’avait entretenu de cette dame en termes horrifiques,