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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/200

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Théophile eût sans doute continué de régner jusqu’à la fin de l’ancienne littérature française. L’idole renversée, le socle resta vide. La démolition de Théophile fut celle de la poésie personnelle : depuis la Maison de Sylvie jusqu’à la Jeune captive, la poésie française fut dramatique, satirique, précieuse, burlesque, éloquente, spirituelle, et même tendre, quoique pas souvent ; elle ne fut jamais plus lyrique. Une veine qui remontait jusqu’aux trouvères, et plus haut, jusqu’aux anciens provençaux, se trouva tarie. Il y a là une curieuse modification du génie et du goût français, laquelle, si elle est explicable, n’a pas encore été expliquée, car Boileau n’est sans doute qu’une cause seconde. Un critique n’a raison que si le public, d’avance, lui donne raison.

Théophile a donc un grand intérêt. Il marque la date où meurt un genre qui ne devait renaître que deux cents ans plus tard dans la forme même où il avait été enseveli. Le romantisme renoue si naturellement avec Théophile qu’il est encore permis d’en manifester quelque surprise et aussi quelque contentement. Cela permettrait, en opposition à des idées qui ont pris corps récemment, de considérer le romantisme lyrique comme le développement d’un germe national et non plus comme une importation étraagère. Théophile Gautier, retrou-