M. BRUNETIÈRE
Je ne crois pas beaucoup à la distinction hiérarchique convenue, en littérature, entre les critiques et les créateurs ; il m’est difficile d’admettre que Taine ait été moins créateur que son contemporain dans le temps, Octave Feuillet, ou, si l’on veut s’élever aux sommets, qu’Aristote ait été moins créateur que Shakespeare, son contemporain dans l’espace. Qu’on écrive un roman ou qu’on écrive une histoire de la littérature française, il s’agit, pour construire une œuvre, d’établir entre des faits connus des rapports nouveaux, ou qui le paraissent. Il s’agit de nous présenter des motifs nouveaux de comprendre ou des motifs nouveaux de sentir : dans les deux cas, il y a création. Si donc l’on tient cependant, à la distinction convenue, il faudrait l’établir non pas sur la qualité de l’opérateur, mais sur la matière de leurs opérations. Ici, pour être plus clair, changeons de termes et mettons en parallèle un romancier et un critique. L’un prétend toucher d’une manière nouvelle notre sensibilité ;