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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/24

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l’autre prétend intéresser d’une manière nouvelle notre intelligence. Les deux ouvriers exercent des métiers différents, mais ils ont ce trait commun d’être condamnés à être originaux, chacun dans leur métier, ou à n’être rien du tout. Ils devront, l’un et l’autre, être créateurs de valeurs, l’un dans l’ordre de la sensibilité, l’autre dans l’ordre de l’intelligence. En résumé, il faut autant de génie pour être un grand critique que pour être un grand romancier.

Je ne veux pas dire que M. Brunetière ait eu du génie ; mais on peut encore, avec un talent bien aménagé, faire figure dans le monde. M. Brunetière a fait figure, et bonne figure ; très peu de ses contemporains littéraires lui furent supérieurs et je ne vois pas, pour continuer le raisonnement initial, en quoi, par exemple, il aurait été inférieur à M. Paul Bourget, son camarade des temps difficiles, il n’a pas écrit de romans, mais que deviendront nos romans ? Est-il même, aujourd’hui, un romancier qui croie en lui-même et songe à se présenter avec gloire devant les générations futures ? Y en avait-il hier ? Est-ce Alphonse Daudet, pour qui Brunetière fut indulgent, ou Émile Zola, pour qui il fut cruel ? Quelques contes de Villiers de l’Isle-Adam, de Maupassant voilà peut-être tout ce que la postérité connaîtra de l’imagination fran-