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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/230

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fois, dut faire tressauter les bouteilles sur la table du Cormier, et il étonna bien ses compagnons un jour que, pour justifier je ne sais quel caprice, il s’écria : « Messieurs, j’ai cinquante ans de liberté sur la tête. » C’était un représentant de la race individualiste qui, en même temps, nous donnait Corneille. Avec Saint-Amant, le seizième siècle achève de mourir et meurent avec lui, pour bien des années, les influences de Ronsard, de Rabelais, de Mathurin Régnier, de Du Bartas. Le règne va commencer de ceux qui furent des psychologues plus que des artistes et des moralistes plus que des poètes. Ces nouveaux venus manquèrent singulièrement d’indulgence pour leurs prédécesseurs ; ils se crurent de force à rejeter dans l’ombre toute la littérature qui les précédait. Ils prétendirent renouer directement avec l’antiquité, et ce qu’ils reprochaient le plus à Saint-Amant et à tels de ses contemporains, c’était de l’avoir méconnue. On peut voir, en effet, en parcourant les curieuses préfaces que le poète rédigea pour ses œuvres, que l’antiquité était le moindre de ses soucis. Alors que l’imitation des anciens allait devenir la grande règle littéraire, Saint-Amant avouait bonnement qu’il ne savait que peu de latin et moins encore de grec : c’est ce que le pédantisme de Boileau peut-être lui pardonnera le moins.