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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/253

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curés et un comédien est, sans qu’il y paraisse tout d’abord, une des curieuses tragédies de l’histoire. Molière vaincu, Paris devenait Genève, avec un conseil de curés, au lieu de pasteurs, ce qui s’équivaut ; ou Copenhague, où les danses au théâtre n’étaient permises qu’à des danseuses munies de pantalons à sous-pieds !

Reconnaissons aussi que Molière s’est bien vengé. Il a écrit Tartufe. Longtemps, on s’est plu à croire que cette terrible satire ne vilipendait que les faux dévots. Pour un peu, on eût ajouté qu’elle faisait l’éloge des vrais dévots et qu’elle engageait les hommes à entrer dans les voies de la piété la plus pure. Sainte-Beuve, lui-même, s’est fait cette illusion, lorsqu’il dit dans son Port-Royal que Tartufe est dirigé contre les casuistes. D’abord, Molière n’avait aucun motif d’en vouloir aux casuistes, c’est-à-dire aux jésuites. Aucun jésuite ne figure parmi les ennemis de Molière. Adversaires décidés des jansénistes, ils résolurent, ne pouvant défendre ouvertement la comédie et les comédiens, de garder la neutralité. Leur attitude, vis-à-vis de Molière, fut très convenable, plutôt sympathique, et le grand comédien, harcelé par tous les démons de la dévotion, se garda bien d’aller augmenter encore, par des attaques inconsidérées, le nombre de ses ennemis. Et puis, Molière se moquait fort des casuistes ;