Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/259

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derniers jours qui détient l’œuvre de Mérimée : voilà à quoi sert souvent la propriété littéraire. Mais revenons à La Fontaine. Le premier héritier des Fables étant mort à son tour, elles sont mises en vente ; c’est un libraire qui les achète, naturellement, parce qu’un libraire seul est capable d’en apprécier la valeur commerciale. Cependant, la réputation de ces Fables a grandi avec les années. On les fait apprendre par cœur à tous les enfants. Le libraire, qui les a acquises pour un modeste sac d’écus, fait une fortune, se retire des affaires et avise son notaire qu’il désire pour ces précieuses Fables un solide acquéreur. Le morceau est devenu gros, en effet. Nous sommes aux environs de 1750. La langue française rayonne dans toute l’Europe et c’est par ballots que les Fables quotidiennement s’en vont dans toutes les directions. Nous supposons que l’Europe entière est déjà, et plus que maintenant, soumise aux lois draconiennes de la propriété littéraire. La contre-façon s’exerce, sans doute, mais discrètement, car la répression est devenue rigoureuse. Le notaire, cependant, cherche un acquéreur global et n’en trouve pas. L’affaire est énorme. On décide de mettre successivement en vente chacun des douze livres qui composent la totalité des Fables. L’opération ainsi devient aisée : douze libraires différents