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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/286

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pour l’argent, pour l’amour et pour l’éloquence, deux autres besoins : celui de voir la mer et celui de se rouler sur l’herbe. Pourquoi, se demande Dostoïevski, lui faut-il voir la mer ? Il ne le sait pas lui-même, mais il le désire violemment. Après avoir remis son voyage d’année en année, parce que les affaires lui prennent tout son temps, il se décide enfin, et à son retour, fier et ravi, il raconte en termes pompeux ses impressions ; toute sa vie, il se rappellera avec douceur qu’il a vu la mer. Depuis cette époque, le bourgeois parisien est devenu plus exigeant. Ce n’est pas une fois dans son existence qu’il veut voir la mer, c’est tous les ans. Et il ne raconte plus son voyage. Il continue à aimer à se rouler sur l’herbe, et surtout sur de l’herbe qui lui appartienne. Alors, tout comme en 1863, il achète une petite maison à la campagne, avec un petit jardin, une petite pelouse, et il accomplit son rêve traditionnel de dîner sur l’herbe, sur la bonne herbe dont il est propriétaire, et il est un peu ému, comme l’a dit François Coppée, « quand la lune se lève au mourant du café ». En somme Dostoïevski n’a vu que ces tout petits côtés de Paris, et il les a peints, tantôt avec âpreté, tantôt avec esprit, parfois avec exactitude, plus souvent avec exagération. Il n’aimait pas Paris, ni la France, ni l’Allemagne, ni la Suisse, ni l’Italie,