Aller au contenu

Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LE SENS DES MOTS


L’autre jour, un de nos confrères, satiriste original, styliste raffiné, spirituel observateur, était, dans un journal du soir, qualifié de « très grand écrivain ». On lit quotidiennement de telles appréciations sans y attacher aucune importance. Grâce à un tas de critiques, plus pressés de plaire que de juger, les épithètes monumentales foisonnent dans la presse. Les génies en tous les genres abondent ; il n’est pas une coterie qui ne détienne plusieurs Michelet, quelques Sainte-Beuve, deux ou trois Lamartine. Les Renan sont plus rares, mais j’en connais, et qui s’étonnent amèrement que leurs livres se vendentun peu moins que la Vie de Jésus. Tout cela n’a aucune importance ; c’est de la courtoisie, de la flatterie, de la vanité. Cependant, ce soir-là, le « très g’rand écrivain » ne put m’entrer dans la tête. J’étais peut-être de mauvaise humeur ; je regimbais. « Grand », me disais-je, ne serait-ce pas déjà, beaucoup ? Être un « grand écrivain », prendre place sur les sommets, parmi les plus