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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/296

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est impossible de le mesurer une fois pour toutes. Sa taille varie de celle d’un nain à celle d’un géant, de celle d’une fourmi à celle d’un éléphant. On peut donc être à la fois un très grand personnage chez les fourmis et, chez les éléphants, un fort médiocre sire. « Tout est relatif, disait le philosophe Senancour, en nous et hors de nous. » Mais cela ne tranchait pas encore la question, car nous ne sommes ni des fourmis ni des éléphants, nous sommes des hommes, c’est-à-dire des animaux moyens. D’ailleurs, il s’agit d’une évaluation intellectuelle, et les grandeurs intellectuelles ne se mesurent pas, comme une vigne ou un pré, avec la chaîne d’arpenteur. Une fourmi de génie, cela est incontestable, peut être aussi grande qu’un éléphant de génie. Je commençais à désespérer de jamais comprendre ce qu’avait voulu dire mon journal. Cela m’ennuyait. Je remis la chose au lendemain.

L’esprit, plus souvent que la fortune, nous vient en dormant. A six heures du matin, j’avais la clef du problème ; les mots, vêtements de nos idées, s’usent comme les habits, vêtements de nos corps : les mots s’usent comme tout ce qui remue, comme tout ce qui subit dans la vie des heurts, des chocs ou des frottements, comme les cailloux du chemin ou les galets de la plage. Il y a là un phénomène très curieux. Les mots subissent constamment une