Aller au contenu

Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/298

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gneurie, Votre Béatitude, Votre Sainteté. Les prélats romains s’affublent encore de ces défroques de la vanité et de la servitude, mais, à mon avis, « très grand écrivain » est une formule presque aussi ridicule. Les mots s’usent, mais il dépend de nous qu’ils ne s’usent pas. Nous en jouons, nous nous laissons aller à prodiguer des épithètes qui devraient garder quelque chose d’un caractère sacré. C’est précisément à l’esprit français, si ami de la mesure, de l’ordre et de la netteté, qu’il appartient de réagir contre ces habitudes, réellement vicieuses. Sinon, nous tomberons dans ce genre de grotesque dont les Italiens nous donnent le spectacle et malheureusement l’exemple.

Ils possèdent là-bas, de l’autre côté des Alpes, deux ou trois cents écrivains qui sont de « prodigieux génies », car, en ce pays de flatterie, le mot génie ne signifie déjà presque plus rien. Tout poètereau qui rédigea un quatrain est par cela même un génie. S’il va jusqu’au sonnet, il devient un « génie prodigieux ». Au delà, il n’y a plus de mots traduisibles en français ; c’est la génuflexion, la prosternation. Cela n’empêche pas, car ils sont gens d’esprit, qu’ils se jugent fort bien les uns les autres, dans le particulier. Ils ont, et voilà tout, de mauvaises habitudes de langage. A force de répéter mal à propos les épithètes louangeuses, ils les ont