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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/299

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usées les unes après les autres et maintenant, pour exprimer qu’un écrivain n’est pas sans un certain talent, ils sont forcés de recourir à une longue périphrase que, traduite en français, nous aurions quelque scrupule à appliquer à un Dante, à un Boccace ou à un Arioste. La première fois que l’on reçoit d’Italie une lettre où le mot signore est précédé d’un magnifique illustrissimo, on est flatté. Mais on apprend vite que ce n’est là qu’une marque de politesse banale, que cela signifie seulement que votre correspondant à un service à vous demander. Nous n’en sommes pas encore là ; nous respectons encore les enveloppes des lettres, mais le ton général de l’admiration tend à s’exprimer selon des formules, qui sont de la pure courtisanerie.

Maintenir aux mots leur sens, ne céder à la force des choses qu’à la dernière extrémité, tel doit être le rôle de ceux qui écrivent. Et puisqu’il s’agit du mot grand, j’espère qu’il est assez significatif encore par lui-même pour qu’on ne gâte pas sa démarche par de maladroites béquilles. Il n’en a pas encore besoin. Quant à l’écrivain que l’on qualifiait de « très grand », je lui souhaite seulement de mériter un jour une modeste place parmi les grands ou seulement les bons. Qu’il m’en croie, c’est encore beaucoup.