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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/303

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renoncé à tout, renié tout, méprisé tout, même la tendresse d’Ammonaria ; et les aiçuillons d’une manie, l’érotisme d’une fièvre religieuse, seront les seules causes qui agiteront encore un peu, dans un corps exténué, son intelligence apaisée.

Si Antoine n’était point, par définition, un saint homme et un croyant naïf, en quel scepticisme d’une extravagante profondeur ne le verrions-nous pas tomber ! Flaubert est bien obligé, à la fin de la dernière page, de le prostrer au pied de la croix, mais nous, ayant fait le même voyage à travers les possibilités humaines, quelle serait donc notre attitude ? Je pense que ce serait celle du sourire mélancolique et un peu dédaigneux. Avoir tout vu, tout senti, même en rêve, et tout compris, cela ne peut guère prédisposer à la joie. L’Antoine moderne, et ce serait une version curieuse, tout au moins, du personnage, aurait commencé d’abord par céder aux tentations, car tel est notre état d’esprit qu’il ne nous est guère plus possible de résister à nos désirs. Nous savons, ce qu’ignorait saint Antoine, qu’une seule vie nous est dévolue, celle-ci, la vie présente, et que le premier de nos soins doit être d’en tirer toutes les satisfactions qu’elle peut contenir, dans les limites des grandes nécessités sociales. Cet Antoine moderne serait donc une sorte de Faust, mais moins solennel, nulle-