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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/305

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de moments très agréables ou même très heureux et dont pourtant tous les détails ont fui de la mémoire ? Il reste en nous, non pas le souvenir d’un fait, mais le souvenir d’un état, le souvenir, non pas d’une sensation, mais d’un sentiment, el cela s’embrume dans les lointains de la vie. Je voudrais cependant que cet Antoine, si c’était moi qui écrivais son histoire, ne laissât point dans l’esprit une impression aussi pessimiste que celui de Flaubert. Je voudrais qu’il s’en dégageât, en même temps qu’une admiration pour les tumultueuses chimères, une tendresse pour la vie elle-même, en ses états les plus ordinaires. Il y a peut-être un sentiment nouveau à créer, celui de l’amour de la vie pour la vie elle-même, abstraction faite des grandes joies qu’elle ne donne pas à tous, et qu’elle ne donne peut-être à personne, si l’on réfléchit bien. Ce sentiment est à peu près absent des œuvres de Flaubert. Les personnages vivent tous dans la chimère ou dans le futur. Le présent existe très peu pour eux, parce qu’il est toujours inférieur à leurs désirs et à leurs imaginations. Ce n’est pas ainsi que la vie doit être prise. Il faut, au contraire, savoir vivre dans le présent, dans la minute même. Ne pas craindre l’avenir, mais ne pas lui accorder non plus une excessive confiance, car son existence même est incertaine. C’est le christianisme qui, avec sa manie de