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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/329

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longs siècles, ni plus cléments, ni plus intelligents. L’Index romain était sans influence en France, mais nous eûmes, pour le remplacer, pendant trois ou quatre siècles, un Index national, le Parlement. On ne saurait compter tous les livres que le Parlement fit brûler par la main du bourreau, depuis les Colloques, d’Erasme, jusqu’à la Pucelle, de Voltaire. Maintes fois le Parlement fit passer au bûcher, non seulement le livre, mais l’auteur du livre. Je raconte ici même comment Théophile échappa au feu[1]. Un de ses disciples, un autre poète, Claude Le Petit, fut, pour quelques vers légers, rôti en place de Grève. Il avait vingt-quatre ans. Son livre, dont le titre est difficile à citer[2], a été entièrement détruit, en partie par le bourreau, en partie sans doute par les inquisiteurs bénévoles, qui l’ont poursuivi jusque dans les bibliothèques publiques. On brûla aussi, en ce temps-là, quelques libraires, avec leurs marchandises. Oui, il fut un moment où il fallait, pour imprimer ou débiter des livres dont l’immoralité nous paraît aujourd’hui soporifique, un héroïsme véritable. Les Parlements de province n’étaient pas moins féroces : celui de Toulouse fit flamber sur le même bûcher Vanini et

  1. Voyez plus haut, p. 207.
  2. C’est, pour tout dire, le Bordel des Muses. Au xviie siècle, le mot était plutôt vulgaire que grossier.