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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/349

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lement à la femme qu’il a choisie. De là les fatales amour de Tristan et Iseut.

Tel est le thème sur lequel se brodèrent plusieurs romans dont aucun ne nous est venu en entier. Le meilleur était assurément celui de Thomas de Bretagne ; ce qui nous en reste représente l’œuvre d’un poète véritable. C’est d’après Thomas, traduit par Gotfrid de Strasbourg, que Wagner a composé son poème. Le Tristan de Chrestien de Troyes a complètement disparu ; il ne reste qu’un long fragment de celui de Béroul, plus ancien.

M. Bédier a parfois un peu trop abrégé. Quand Tristan paraît devant Iseut travesti en fou, la figure volontairement souillée, la voie contrefaite, Iseut ne veut, ne peut le reconnaître. Dans le roman de M. Bédier, il suffit pour la vaincre que Tristan montre certain anneau de jaspe vert. Dans le fragment qui semble imité, à la vue de l’anneau, Iseut croit que son ami a été tué, car, sans cela, jamais cet anneau n’eût été aux mains d’un autre homme. C’est plus vrai. L’anneau ne prouve rien de plus que tous les détails sur leurs amours que Tristan vient de lui conter. Selon le vieux poète, Tristan renonce à sa ruse, reprend sa voix naturelle et voilà Iseut troublée. Elle croit enfin, et, lui jetant les bras autour du cou, elle le baise sur les yeux,