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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/384

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vocables. Les dédaigneux parlaient. En moins d’une soirée, des poèmes, petits germes soufflés par le vent, prenaient racine, grandissaient à la taille des plus beaux arbres ; alors, à coups de hache, on en faisait des tronçons et chacun en emportait un morceau chez soi. Forts des livres qu’ils auraient pu faire, les dédaigneux acquéraient les droits du critique absolu et négateur. Ils haïssaient tout, enfouissaient tout dans les catacombes d’une nécropole grandiose ; ils avaient une manière de refaire un livre en quelques phrases méprisantes, qui abolissait à jamais l’œuvre échouée sous leurs pieds. Avant tout, ils se montraient impitoyables pour celui de leurs frères qui rompait le pacte du silence. Pour un petit « jeu allitératif » en prose limitée, Sigalion, terrible et dur, chassa de l’Église un des Dédaigneux les plus abstraits et les plus hautains.

Des années s’écoulèrent. Le Maître vieillissait. Selon un mot si heureux — mot d’un soir de fête et d’abandon : « L’alcôve est le cabinet de travail du poète de la vie », Sigalion avait beaucoup travaillé. Le poème de sa vie se fanait. Il commença d’avoir des soirées moins diaprées ; ses aphorismes, sortis trop vite des lèvres indécises, tombaient sur leur queue immédiatement, couleuvres endormies. Ses galanteries se faisaient discrètes ; piquées au vif, elles défaillaient. Il cessa d’être désiré ; on finit par