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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/388

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comme un sac de farine sur les épaules d’un homme. Quand je me réveillai, j’étais couchée au fond d’une grande barque, dont la voile gonflée rasait ainsi qu’un oiseau de mer la crête des vagues. On m’avait ôté le bandeau et le bâillon ; des hommes, différents de ceux qui m’avaient prise, me regardaient avec un sérieux qui m’épouvanta et je me mis à pleurer. Alors, ils me laissèrent seule. En voulant faire un mouvement, je m’aperçus que j’avais les pieds liés par une corde. Je pus cependant me dresser sur mon séant et, appuyée à un banc, je versai toutes les larmes de mon cœur. Quand j’eus bien pleuré, je me mis à réfléchir : Évidemment j’étais enlevée ! Cette idée m’épouvantait, en me rassurant un peu. On ne voulait pas me tuer pour me voler mes bijoux, comme je l’avais cru d’abord, c’était moi-même que l’on volait, soit que les voleurs fussent les esclaves de quelque pacha, soit qu’ils prétendissent me vendre à un riche marchand qui leur donnât de ma beauté un bon prix. J’avais lu un vieux roman français où les choses se passaient à peu près ainsi : « Gusman et Zéamire, ou les Corsaires des îles Baléares. » Ce Gusman était un jeune seigneur, général d’une galère espagnole, qui ravissait aux corsaires leur proie, au moment même où le capitaine des Turcs allait faire subir à Zéamire les derniers outrages. Je priai Dieu de