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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/389

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m’épargner ces derniers et mystérieux outrages (sur lesquels, hélas ! je suis bien fixée maintenant !) et, vaincue par la fatigue, je m’endormis en rêvant à Gusman, dont j’étais la Zéamire.

Une sensation singulière me réveilla. J’étais toute nue. Plus tard, j’appris que j’avais été enveloppée par une vague au moment où l’on me débarquait le long de la terrasse du palais, et le premier soin des femmes parmi lesquelles je me trouvais maintenant avait été de me déshabiller, de me réchauffer, de me changer de vêtements. J’entendais un gazouillis dont quelques mots m’étaient familiers. Je regardai la jeune femme qui semblait les prononcer ; elle était blonde et ses yeux étaient tendres. Elle sourit sous mon regard et prononça tout doucement ces paroles dont j’aurais ri quelques heures plus tôt, mais qui alors me firent délicieusement pleurer : « Se parle française ? » Trop émue pour répondre, je tendis les bras vers le charmant visage et nous nous embrassâmes longuement, comme deux sœurs, comme deux amies qui se retrouvent. Je lui dis mon histoire ; elle me conta la sienne, qui n’en différait guère. Elle s’appelait Caroline ; elle était Viennoise et elle avait appris le français d’une nourrice italienne qui avait servi plusieurs années à Marseille. Ainsi son français était à moitié italien ; cela facilita nos causeries.