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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/40

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détestaient les prêtres. Rousseau leur avait donné le goût de la nature ; pour le reste, ils s’en rapportaient au Dictionnaire philosophique, estimant avec raison qu’au lieu de les contraindre à l’exil une révolution voltairienne les eût confirmés dans leur état. Chateaubriand, parmi une érudition vaste et très superficielle, ne pense pas autrement. Il sait que la Révolution vient de Jean-Jacques ; mais quoiqu’il la déplore, il en admire le promoteur, outre mesure même, donnant ainsi un bel exemple de dissociation des idées. D’ailleurs, déplore-t-il vraiment la Révolution ? Il n’y paraît pas toujours. Son attitude déjà est celle de l’homme détaché des contingences. Il voudrait vivre dans l’absolu. Il dépasse Rousseau de très loin : « On a beau se torturer, faire des phrases et du bel esprit, le plus grand malheur des hommes, c’est d’avoir des lois et un gouvernement[1]. »

Il avait, comme a dit Vinet, vu les sauvages impunément, tant il est vrai que nous percevons, non par la réalité, mais l’image que nous nous faisons de la réalité : les crasseux Peaux-Rouges, avec qui il prétendait avoir vécu, mangé et dormi, ne l’avaient pas dégoûté de « l’homme naturel ». Il est

  1. Essai sur les Révolutions anciennes et modernes, p. 618. L’édition toujours citée de l’Essai est celle donnée par Sainte-Beuve chez Garnier, avec les « Notes de l’exemplaire confidentiel » si curieuses et si décisives, et dont nous reparlerons.