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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/39

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lem, puisqu’il se plaisait aux voyages ? La principale objection contre la pleine bonne foi de Chateaubriand dans le Génie, c’est qu’il laissa brusquement, pour s’y adonner, l’Essai sur les Révolutions[1]. Mais on se convertit comme on meurt, à tout âge, et c’est généralement par un de ces coups soudains qui ne laissent place à aucune délibération[2]. Les changements de personnalité, dont quelques malades sont frappés, se produisent ainsi : une douleur bruque dans la tête et une nouvelle vie commence, dont le principal caractère est l’oubli complet de la phase précédente. Un besoin presse le nouveau converti ; il faut qu’il avoue sa foi, qu’il la crie, qu’il la rédige : Chateaubriand en tira cinq volumes.

On peut s’amuser, sans y vouloir puiser aucun argument polémique, à feuilleter, avant de lire le Génie, l’Essai. C’est un livre curieux d’ailleurs, et où on trouve quelques-unes des meilleures pages de Chateaubriand, un livre qui n’a pas vieilli, l’œuvre d’un Helvétius tout près de nous et singulièrement amélioré d’avoir souffert la révolution qu’il avait désirée. On y voit l’âme d’un jeune émigré fougueux. Les émigrés étaient voltairiens et

  1. Dont le tome II même, a-t-il dit plus tard, était écrit.
  2. On sait que, pour Chateaubriand, le coup soudain fut la mort de sa mère. La raison, et sutout en de certaines natures, n’est guère que la servante de la sensibilité.