Aller au contenu

Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y a de la stupidité, il y a de l’ignorance, il y a de l’envie, mais il y a aussi du mensonge dans ces cris contre l’obscurité de Mallarmé. Son œuvre contient plus d’une page difficile, soit ; quelques autres peuvent passer pour impossibles, c’est encore vrai ; mais les vers limpides ou opalins, les poèmes doucement lumineux et parfois rouges d’un incendie rapide sont les plus nombreux. Un malheureux professeur, particulièrement déshérité, signalait récemment, comme un monument de ténèbres, le Tombeau de Baudelaire (et surtout le vers cité plus haut). J’avoue, et la plupart des écrivains de ma génération penseront sans doute ainsi, que ce sonnet est aussi clair pour moi que le Lac, et beaucoup plus que la Tristesse d’Olympio. La poésie française est sans cesse rejetée par la basse critique, dans la lumière crue des lieux communs, des plaines bêtes et des routes dévorées par le soleil ; on n’a pas encore pris son parti qu’elle préfère la fraîcheur des sources et des crépuscules. Quelle vraie poésie est claire — au sens que Boileau donne à ce mot irritant ? Celle de Dante, peut-être ? Mais si le premier livre de l’Enfer surgissait inédit,

Trompette tout haut d’or pâmé sur les vélins,

qui oserait le déchiffrer sans peur ? Celle de Goethe,