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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér4, 1927.djvu/93

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vers libre, quoiqu’il soit très en faveur, mais il me satisfait mal. La prose a naturellement peu changé, puisqu’il n’y a pour ainsi dire qu’une seule manière de bien écrire. Mais on peut cependant noter que le style simple et précis, loin de l’éloquence romantique, est, après des tâtonnements, des essais d’une fantaisie excessive, redevenu ce qui plaît davantage, ce qui décèle un écrivain. Le gain, c’est qu’il se plie volontiers et mieux que jamais à toutes les nuances, à tous les mouvements de la pensée. Il n’est plus oratoire, il ne fait plus de moulinets, il se concentre en sourires, en doutes, en reculs, en gestes discrets d’accueil, en insinuations. On sait tant de choses qu’on s’aperçoit qu’on ne sait plus rien. On suppose, on propose, on n’affirme pas, et le mot charmant et désabusé de Pilate est sur toutes les lèvres : « Qu’est-ce que la vérité ? » II y a des habitudes, il n’y a plus de principes. On peut douter de tout et on ne jure plus qu’avec un geste évasif. Telles m’apparaissent, formulées dans la prose des bons écrivains, les idées nouvellement évoluées. La science elle-même ne s’est-elle pas prise d’un goût tout nouveau pour le doute ? Elle ne dit plus « Il est certain que. » Elle dit « Il est plus commode d’admettre que. » C’est le commodisme de M. Poincaré. La biologie s’est mise à nier les vieilles théories darwiniennes sur l’origine de l’homme, ce qui n’est pas sans lui faire subir une