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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér5, 1923.djvu/168

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étrangère, sur ce que l’on appelle la tradition française, et qui n’est qu’une illusion, est visible à chaque période de renouvellement littéraire, comme elle est visible à chaque période analogue dans l’histoire particulière d’un esprit. Ils sont très rares, ils sont pour tout dire inexistants et impossibles, les esprits qui pourraient se renouveler en puisant dans leur propre substance. Si vastes qu’elles soient, une sensibilité et une intelligence ont assez vite fait le tour d’elles-mêmes ; si étendue dans l’espace et le temps que soit leur expérience, elle a ses limites et ne peut, au moment nécessaire, se raviver que par des contacts avec une sensibilité, avec une intelligence très différentes et qui l’étonnent et qui la surexcitent. C’est Corneille découvrant le drame espagnol, Voltaire découvrant les Anglais, Lamartine découvrant Byron, Renan découvrant chez les Allemands qu’il y a une vérité historique. Le mécanisme est toujours le même, qu’il s’agisse d’un individu ou d’un groupe. Il arrive même ceci qu’un courant d’idées qui avait perdu presque toute sa force la récupère en passant d’un individu à un autre, d’un groupe à un autre : le drame espagnol était mourant quand il féconda le génie de Corneille ; l’antiquité semblait morte ou à jamais travestie quand le groupe des traducteurs du seizième siècle la suscita à la vie et lui conféra une si forte influence qu’elle devait pendant trois