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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér5, 1923.djvu/19

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de Machaut avait séjourné à Paris. En 1361, on ! e voit de nouveau fixé à Reims où, au cours de la convalescence d’une longue maladie, il lui arrive l’aventure la mieux faite pour flatter et pour émouvoir un poète, même célèbre, qui avait déjà dépassé le commun âge des amours, une aventure qui va le replonger, pendant plusieurs années, dans l’océan des rêveries printanières. Les femmes, certaines femmes du moins, aiment avec leur imagination bien plus qu’avec leurs sens et sont beaucoup plus frappées des qualités intellectuelles d’un homme que de sa jeunesse et de sa beauté physique. C’est par elles que l’intelligence triomphe de la sensualité, et que se rétablit l’équilibre entre les dons spirituels, invisibles à la plupart des yeux, et les dons corporels dont la première venue peut ressentir le désir. On ne vit jamais une chambrière s’éprendre d’un homme de génie pour l’amour de son génie. Les femmes sensibles à ce qu’il y a de plus haut et de plus pur dans l’esprit d’un homme, si elles forment une classe aberrante parmi les amoureuses, y forment aussi une classe privilégiée, à laquelle sont réservés les grandes émotions et les profonds troubles. Plus l’amour se distingue de la fonction et plus il comporte de noblesse. C’est le secret de l’estime où nous tenons, malgré tout et en dépit de nos instincts, les grandes mystiques dont les extravagances mêmes nous séduisent comme des exemples de désinté-