Aller au contenu

Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér5, 1923.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

eut peut-être davantage), il fait œuvre de mort. Jusqu’au funeste exemple de Leconte de Lisle, Victor Hugo avait tenu le sien dans une certaine réserve. Lâché, il ravagea sa poésie, y détruisit toute ingénuité. Mais si on devait défendre la poésie aux poètes qui n’ont que du talent, ce serait la défendre à presque tous, car le génie est rarement capable de se soutenir tout seul. On veut donc dire tout simplement que les Parnassiens abusèrent des recettes, des procédés, des règles, de tout l’attirail orthopédique par lequel la poésie se soutient dans l’attitude noble et simule la perfection continue. On ne me fera pas dire que l’art parnassien n’a pas atteint une certaine beauté ni que cette beauté n’a pas souvent réalisé l’idéal de Baudelaire (si peu pratiqué par ce poète de l’émotion et de la perversion) :

Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre !

Et puis, si je constate la rigidité de leur technique, je ne leur reproche pas de ne pas s’en être évadés. On ne s’évade des règles qu’avec le temps et ce n’est pas toujours le meilleur qui s’en évade le premier. Mais qu’on me laisse me réjouir de ce que la poésie d’aujourd’hui n’en a presque plus, hormis celles que le poète se forge à lui-même, par un reste de superstition, qui passera. Le talent, dans ce système, est mal à l’aise et ne fait plus aucune illusion. Il n’y