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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér5, 1923.djvu/87

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sur son intellig-eiice pour laquelle, au contraire, elle semble un aiguillon. Sous cette atmosphère lourde, son « esprit pénétrant » comme il le qualifie lui-même, et toujours en mouvement autour des idées, acquiert une acuité particulière. N’étant distrait ni par le monde, ni par l’ambition, ni par la recherche du bonheur qu’il réduit à quelques rares petits sourires, il considère bien en face les hommes et les choses, et les pénètre d’un regard sérieux. Sa puissance de concentration intellectuelle est très grande. Telle de ses pensées surgit comme un de ces éclairs qui sont le produit soudain de la longue tension de tout un monde d’éléments. Beaucoup de ces traits qu’on peut relever dans le Journal ou dans ses autres écrits sont amers, dédaigneux, désenchantés, mais ils s’enfoncent dans l’esprit d’où ils ne veulent plus sortir ; telle est leur force de pénétration. Quelquefois, grâce à leur excès de désenchantement, ils laissent l’impression d’une sagesse surhumaine. L’homme qui les a lancés, en effet, ne participe à la vie que par la respiration et par le regard ; il sait si bien s’en abstraire qu’il semble un contemplateur hors du monde. C’est qu’il ne mêle jamais le sentiment à ses déductions ou à ses visions qui demeurent purement intellectuelles. Pascal a dit que le goût même de l’abstraction peut devenir sentiment. Chez Vigny, le sentiment même devient intelligence. Aussi, malgré ses apparences roman-