Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/107

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il y avait déjà dix jours passés, dix irrévocables jours, depuis le mercredi fâcheux où s’était écroulé son amour. Écroulé ! eh bien, cela se reconstruit. Mais c’était vraiment et un peu trop, à la lettre, aimer à distance. Sixtine n’occupait pas, comme lui, ses heures, à l’analyse du tout et du rien : pour se faire aimer, il faut se faire voir. Dorénavant, il en chercherait toutes les occasions, il la suivrait, comme un chasseur, la presserait impitoyable jusqu’à la curée des baisers. Cesser de réfléchir, ne penser qu’au but et compter pour rien les obstacles. Dès ce soir, il allait commencer.

Au train de cette activité mentale, ses jambes, déjà, obéissaient. Il remontait vite une rue populaire, pleine d’enfants, petits dauphins démocratiques, marmaille du souverain moderne. L’inventeur du suffrage populaire lui semblait, en ce moment, le plus exécrable monstre produit par l’humanité et parallèlement à ce lâche inconnu, Néron et Attila, refondus en un seul exemplaire, étaient des créatures dignes de la génuflexion. Nul n’avait à ce point abaissé l’Idée, nul n’avait tâché à faire du monde une aussi désolante écurie, où seraient maîtresses les ruades des Houyhnhms respectés. Il fut pharisien et se rendit la justice de n’avoir jamais mangé le foin aigre de ce râtelier royal : il avait à l’âge de raison renoncé, plein de dégoût, à sa part de souveraineté et jamais un bulletin de vote n’avait souillé ses doigts d’aristocrate. Cela tenait moins à sa première éducation qu’à de subséquentes et personnelles réflexions, car la moderne dégénérescence accepte l’accomplissement