Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/117

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prostraient ; tous mes nerfs à chaque coup de tonnerre vibraient comme des cordes de harpe. Il y avait la harpe de ma grand’mère dans un coin du salon et quand on daubait une porte, elle résonnait ainsi. Je me comparais à cet instrument mystérieux qu’on avait une fois devant moi dévêtu de son étui de soie rose, j’écoutais les intérieurs murmures de ma vie surexcitée, des bruits qui montaient à l’extrême, me faisaient mal, lentement s’en allaient en une mort dont il semblait que je devais mourir. Puis des peurs, de douces peurs de voir d’entre les branches surgir une femme inconnue qui m’aurait souri. Enfin les chatouillements indiscrets de la Puberté qui passait, jouait, soufflait comme un vent tiède sur ma peau tendue. C’était à la campagne, pendant les vacances : on me laissait m’amuser à ma guise et je me roulais sur l’herbe, j’en mangeais, je coupais des gaules et des scions aussitôt laissés, je grimpais aux arbres et à moitié je me laissais glisser, sans plus de force assez dans les muscles. Il me revenait d’obscènes couplets vaguement entendus. Alexis et Corydon me préoccupaient et je me figurais comprendre pour la première fois les obscures ardeurs du poète. Au fond, mes désirs étaient tout à fait imprécis, de très chastes baisers de sœur ou de mère m’auraient peut-être calmé, peut-être sensibilisé davantage. J’avais encore une autre angoisse : quelle était, au vrai, cette maladie qui me prenait ? Est-ce que j’en guérirais jamais ? S’il fallait vivre ainsi, cela ne serait pas supportable. La nuit m’apaisa un peu. Comme je tracassais tout le monde, c’est-à-dire ma grand’tante