Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/15

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— « Le retour, disait Entragues, en connaissez-vous toutes les émotions ? C’est torturant et délicieux. On arrive la nuit : si elle était là ! On entre, tout secoué, tout déséquilibré, et, dans le confus des pensées courtes, on se dit : Si elle était là ! Non, elle n’est pas là : la peur d’une subite douleur a devancé la déception : est-ce que de pareilles joies adviennent, hors du rêve ? Elle n’est pas là : il n’y a pas de danger. Comment ? Pas de double tour ? Une veilleuse ! Elle est là ? — Elle était là, couchée dans sa robe de chambre rose ; au bruit de la clef s’est levée, et, pieds nus, cheveux défaits, pâlissante d’émoi, le baisait par toute la figure, au hasard des yeux, lèvres, front, nez, barbe, le bras doucement enroulé au cou, l’autre tremblant de ne savoir où se poser d’abord, et dans l’intervalle criait, comme une hallucinée : « Te voilà ! te voilà ! » Puis se reculait pour le regarder, semblait douter, disait : « C’est bien toi », et câlinement se donnait en se couchant sur son épaule, se redonnait : « Je suis à toi, toujours, comme avant ! » Lui, éprouvait une excessive joie : partir en laissant des larmes, trouver au retour le sourire, un être auquel votre présence rend la vie, c’est un plaisir sérieux, ça, mêlé d’un peu de cette vanité nécessaire : se sentir indispensable à quelqu’un. Vanité spéciale où le mâle éprouve une despotique jouissance.

— « Vous êtes attendu ainsi ? demanda Sixtine.

— « Qui ? Moi ? Non, mais cela pourrait être, et tenez, je l’ai senti en vous le contant. La moindre induction me distrait du présent, le verbe se déroule