Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/161

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appartiendrait au vainqueur ; du moins, en des temps barbares cela se passerait ainsi ; à cette heure, les vaincus ont des charmes : ils inspirent la pitié et les dieux ont souvent tort. Est-ce que je ne l’aimerais pas assez pour risquer ma vie ? La vie, je n’y tiens pas : si j’avais un doute à ce sujet, je me prouverais le contraire en la quittant. Lui, Moscowitch, se battrait volontiers ; mais c’est une âme simple ; moi, je suis très compliqué.

Il reprit, tout haut :

— Une femme qui inspire une telle passion est vaincue d’avance. Mais il faut se dominer afin de ne rien compromettre : ne pas la voir trop souvent, ni trop longtemps à la fois ; laisser entendre que l’on souffre et que plus on voit la cruelle, plus on souffre ; garder assez de présence d’esprit pour demeurer observateur exact, et un beau jour lui mettre le couteau sous la gorge, crier : Je souffre trop, soyez clémente. Elle cède et vous êtes heureux, à moins que votre imagination n’ait dépassé la réalité. Cela arrive : alors on regrette il tempo de’dolci sospiri. Oh ! vous n’avez pas à craindre cette faiblesse, vous êtes robuste et elle est belle. Il y a bien d’autres moyens d’arriver au même but, celui que je vous donne est le plus sur ; c’est la natation de l’amour physique, je l’avoue, mais nulle mimique n’est plus troublante pour une femme. Elles veulent, avant tout, être désirées charnellement ; le reste vient ou ne vient pas, c’est du surcroît. C’est le ciment qui joint les pierres, mais les constructions cyclopéennes s’en passaient fort bien et n’en étaient pas moins solides. Comme le bloc de granit,