Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/316

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s’arrêter à des interprétations sensuelles. « Soit, et aussi bien, je ne suis pas en train. »

Fermant le livre, il revint s’asseoir. Il relut le dernier chapitre de l'Adorant, s’applaudit d’avoir résolu selon les nécessaires conséquences le sort suprême de Guido :

« Mon rêve, du moins, sera logique, comme elle le désire. Si la vie m’échappe, la transcendance m’appartient ; je l’ai payée assez cher, je l’ai payée du prix de toutes les joies terrestres. Les fruits où je mords sont des bulles sitôt évanouies, mais les bulles qui sortent de mes lèvres s’envolent, planent et demeurent : mes idées, comme des rayons, s’irrisent en les transperçant et l’éternel vent qui arase le monde s’amuse et joue avec elles.

En te perdant, Sixtine, je me suis retrouvé, — mais, je l’avoue, madame, ce n’est pas une compensation digne d’être notée. Bien que vous me jugiez égoïste et que j’admette ce jugement, je n’ai pour moi nul amour. Un peu de haine plutôt, quand je franchis l’indifférence, car je sens que je ne suis qu’un mauvais instrument aux mains d’un Maître inconnu et transcendant, — celui qui me raille si à propos, quand je mésuse de mon âme… Destiné à quelle besogne ? Ah ! il le sait, lui !…

Dis-le-moi, Maître ! Songe à l’invincible dégoût que m’ont suggéré mes frères et mes sœurs ! Songe que j’ai besoin de distractions !… O Seigneur des mornes prés bleus où les Chimères broutent des étoiles, dis-moi mon secret et je serai capable d’un certain dévouement… J’aime déjà beaucoup la grâce de tes