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Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/33

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curiosité. Comme j’aurais aimé être évêque et en une moins moderne Rome, cardinal ! Si je m’appesantissais sur ce bien stérile désir, une sensation me prendrait à la gorge, de vie manquée, sensation vulgaire que mon orgueil repousse avec mépris. Et puis, ne les ai-je pas, à mon gré, goûtés, les mystiques bonheurs et les célestes angoisses de l’épiscopat ? N’ai-je point revêtu la robe violette relevée sur les bas pourpres ou traînante sur les marches de l’autel ? N’ai-je point gravi, mitre en tête, les degrés de la chaise présidiale ? De quoi donc me servirait la réalité, quand j’ai le rêve et la faculté de me protéiser, de posséder successivement toutes les formes de la vie, tous les états d’âme où l’homme se diversifie ?

Surdon.— Des plumes frisées surgissent à la vitre, plongent. À me voir seul la voyageuse hésite, mais le sifflet a stridé, un employé la pousse. Elle me fait vis-à-vis, tombée là, un peu essoufflée, inquiète, mais non rougissante. L’hésitation venait de la crainte de paraître avoir exprès choisi le compartiment d’un homme seul. Par des phrases très polies, je la rassure, mais à moitié seulement, et bien certain que tel bon proverbe l’amusera et la piquera je termine par : « L’occasion fait le larron. » En province les proverbes, cette archéologie grammaticale, sont encore monnaie courante de conversation : cela permet de ne rien dire du tout en ayant l’air de dire beaucoup. Elle me sait gré de mon adage et se plaint de l’habituelle grossièreté des hommes. Je lui réponds : « C’est que les femmes ont toujours envie de ce qu’on ne leur offre pas et méprisent ce qu’on