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BALZAC CHEZ LUI.

droit d’exiger de l’historien biographe, surtout de l’historien d’un homme lui-même si exceptionnellement exact dans ses mille peintures immortelles. Que ne m’étais-je pas dit pour m’imposer le voyage aux Jardies ? Eh bien ! j’avais tort d’être si pieux envers cette fidélité contre laquelle, jusqu’ici, personne ne s’est élevé, dont personne n’a douté, si ce n’est moi. À vrai dire aussi, je me mentais un peu dans cette occasion. J’avais plus besoin de voir pour mon désir personnel la propriété des jours heureux de Balzac, que pour rectifier à plusieurs années de distance les couleurs étendues sur la toile de ma mémoire.

Non ! il ne faut rien revoir de ce qu’on a aimé. Ni la mer natale où l’on s’est baigné autrefois ; ni la maison paternelle, au coin calme ou bruyant du carrefour ; ni la campagne, au pied de la colline, parcourue aux heures exaltées de la jeunesse ; ni les pays lointains visités avec enthousiasme à vingt ans. Tout cela ne sert qu’à mouiller les yeux, à serrer le cœur, à faire trembler les lèvres. À quoi bon ? Les objets revus ne sont plus les mêmes. Vous, non plus, vous n’êtes plus le même. Eux ne veulent pas vous reconnaître, et vous, vous les reconnaissez à peine. Vous avez beau leur dire, leur crier : C’est moi ; ils vous disent :