Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/135

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Aujourd’hui, je ne vous retiens pas davantage : charbonnier est maître chez lui.

Et M. Leveneur avait insensiblement poussé Janton jusqu’à la porte. Là, comme pour lui donner le coup de grâce, il lui dit :

— Tout bien calculé, l’affaire dont vous m’avez parlé ne me sourit pas ; je vous engage à y renoncer. Ainsi, n’en parlons plus.

Infortuné Janton ! À jeun, souillé, chassé, il fut obligé de traverser la place, quoiqu’il ne fît pas encore nuit. Ceux qui le virent passer ne surent ce que cela voulait dire. Cet homme tout noir paraissait encore plus noir sur la couche de neige tombée de la veille.

— Encore un qui sait lire et écrire ! se dit, avec l’ironie d’un tigre et atrocement heureux, Leveneur, en voyant le déplorable Janton, mystifié, bafoué, ridiculisé, se faire petit pour rentrer chez lui.

On se mettait à table dans l’arrière-boutique de M. Leveneur.

Lanisette s’était assis à côté de Manette, et tous deux faisaient vis-à-vis à M. et à madame Leveneur. On remarquait déjà une intention dans cette disposition particulière des places. Auprès de toute autre personne que Manette, si élégamment belle, le conducteur aurait pu avoir son prix. C’était un garçon de vingt-deux ans, rond et enluminé, blond et jovial, portant la tête sur l’épaule, par l’habitude de veiller sans cesse sur les roues de la voiture et les longes de l’attelage, ayant de jolies dents, les yeux bleus, vifs, quoique très-petits, mais gâtant ces quelques avantages naturels par certaines manies. Par exemple, pour donner de la finesse à ce qu’il disait, il clignait toujours un œil, montrait le bout de la langue, qu’il pinçait entre ses dents, et se frottait vivement les mains l’une contre l’autre. Du